Raspoutitsa, l'enfer de la boue !

Après l'été torride, la terre noire et grasse de l'Ukraine s'abreuve. Ce qui était poussière devient boue, et cette boue transforme tout le pays en marécage et les routes en fondrières infranchissables, où l'on s'englue jusqu'au genou. Les camions s'y enfoncent, les attelages à chevaux ne se s'en extraient qu'avec peine. Avec la boue, c'est l'immobilisation de tous les tracteurs et de tous les véhicules à chenilles. Les divisions, les régiments, les bataillons sont cloués au sol.

Opération Terre Brulée, Paul Carell

…...le temps changea complètement en quelques heures. La veille encore, les rafales de neige balayaient en hurlant le paysage glacé, et d'un coup ce fut le dégel. La raspoutitza apparu incroyablement tôt. C'est l'époque des boues de printemps, de la disparition complète des chemins, lorsque les paysans retournent sur leur grand poêle et ne quittent plus leurs maisons. Ils savent la vanité de tout effort en plein air. Sous l'action du soleil, de la pluie et des vents chauds, la lourde terre noire de l'Ukraine se transforme en 24 heures en une gadoue épaisse et liquide. Il n'y a plus la moindre route solide. Le piéton s'enfonce jusqu'à mi-jambe, perd après quelques pas ses bottes et ses chaussettes, les véhicules à roues restent collés sur place sans le moindre espoir de s'en tirer seuls. L'aspiration brisait même les chenilles trop étroites de nos half-tracks. Les tracteurs lourds et les chars étaient seuls capables d'avancer, mais au prix d'une usure et d'une consommation de carburant inouïes, et à la vitesse maximum de 4-5 km/h. Durant les nuits plus froides, une fine couche de givre se déposait sur cette invraisemblable bouillie. Elle pouvait être si solide que même les Panzers restaient collés au sol et qu'il fallait les libérer à la flamme des lampes à souder. Le nombre des malades victimes de ces froids nocturnes augmenta rapidement et en vint parfois à dépasser celui des pertes au combat. L'infanterie surtout était sans protection face aux intempéries. Les uniformes demeurés humides tout le jour gelaient la nuit sur les corps des soldats.....

Tscherkassy, Von Vormann

Le calvaire de la 24è Pzdiv en pleine offensive :
….....les convois s'allongent sur plus de 120 km. Des centaines de camions sont abandonnés sur les bas-côtés, essieux cassés, joints de culasse grillés ou en panne d'essence. Ceux qui roulent encore sont remorqués par files de quatre à cinq à 1 km/h par les tracteurs d'artillerie ou par les chars dont un tiers à dû faire demi-tour exprès. Les half-tracks de combat, dont les chenilles ne sont pas assez larges, doivent être poussés par leurs équipages pieds nus. Les carrefours sont témoins d'embouteillages dantesques auxquels les Sturmoviks ajoutent le piment de leurs obus de 23 mm.

Le chaudron de Tcherkassy-Korsun et la bataille pour le Dniepr, Jean Lopez

…...nous sommes vite couverts d'une gangue de boue, des pieds à la tête; on glisse même dans nos bottes, où cette mélasse s'est infiltrée, car aux endroits où s'enlisent les camions, la boue nous arrive souvent aux genoux, si pas plus haut, lorsqu'on pose le pied dans un trou. Les « Zugmaschinen » qui sont de gros véhicules à chenilles, pouvant transporter un peloton entier, abattent un travail fou ! Ces mastodontes sur chenilles tractent en sus des canons de Flak 8,8, nos gros canons antiaériens. Ils sont les anges gardiens de ces colonnes désemparées, en marche dans cet univers de boue. Une terre glaise, lourde et imperméable, qui ne permet pas à l'eau de pluie de s'infiltrer et empêche le drainage. Une argile pareille à celle dont usent les statuaires pour ébaucher leurs œuvres, et bientôt nous ressembleront à ces ébauches, tant nous sommes couverts de boue. On patauge, on glisse, on nage dans cette gadoue ! Et encore, s'il n'y avait que nous en cause ! Mais non, il faut pousser les véhicules en difficulté et s'arc-bouter dans cette boue, trouver un point d'appui qui supporte notre effort ! Peu d'entre nous ne se sont pas étalés deux ou trois fois au moins dans cette masse froide et gluante qui s'insinue partout, jusque sur la peau, sous les habits. Heureusement j'ai mon imper ciré de motocycliste.....Lorsque je reprends ma moto, les pieds, tout le corps poisseux, les poignées, la selle, la machine entière prend l'allure d'une sculpture de limon.

Nous n'irons pas à Touapse, F. K Gruber

Aargh, je ne me lasse pas de voir ces photos...
Qu'on ne s'étonne pas de voir encore autant de matériel sortir de ce pays, quand on voit tout ce qui s'y est glissé, introduit, enterré.
Répéter la même erreur que Napoléon, avec des engins d'un tel poids, ça vraiment été ballot...

Ho Hisse !!