Vous croyez que ce sont les Etats-Unis qui ont le plus contribué à la défaite nazie? Détrompez-vous, et sachez que vos grands-parents ou vos arrière-grands-parents ne devaient sûrement pas penser comme vous.
L'une des toutes premières étude de l'Ifop, plus vieux institut de sondage français, a posé cette question à la fin de la Seconde Guerre mondiale et 70 ans plus tard: Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l'Allemagne en 1945? La Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou l’URSS?
Aujourd'hui, la majorité des Français répond que ce sont les Etats-Unis qui ont le plus contribué à la défaite de l'Allemagne nazie. Mais ce n'était pas le cas à la fin du conflit. C'est une inversion de l'opinion publique qui ressort de cette étude, mise au jour par Olivier Berruyer.
La question est difficile à trancher car chaque allié a sa part dans la victoire sur les Nazis. Les Etats-Unis sont sortis de leur isolationnisme, les Russes ont réussi à empêcher la victoire des Allemands sur le front de l’Est. Même la Grande-Bretagne a son fait d’arme: la bataille d’Angleterre a contraint Le chancelier à se battre sur deux fronts à la fois.
Pour l'historien Richard Overy, ce sont les Russes qui ont le plus contribué la défaite de l'Allemagne nazie.
Le site Vox cite un passage de Why the Allies Won, écrit par l'historien:
«Si la défaite de l’armée allemande était l’objectif stratégique central, le conflit sur le front de l’Est en a été le théâtre principal. C’est là-bas que l’armée allemande a été affaiblie puis a battu retraite, avant que l’essentiel des troupes alliées, terrestres et aériennes, n’arrive sur place en 1944.»
Quel est le pays qui a le plus contribué à la défaite des Nazis?
Réponses en % de la population interrogée
Avril44:
Mai45:
1994:
2004:
L'opinion publique s'est inversée...
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Français étaient du même avis que l'historien britannique.
Ils répondent à 57% que les Russes sont ceux qui ont le plus contribué à la défaite des Nazis. «Les Etats-Unis et l’Angleterre, pourtant libérateurs du territoire national, ne recueillent respectivement que 20% et 12%», note Olivier Berruyer.
Soixante-dix ans plus tard, la vision de l’histoire a bien changé dans la tête des Français.
«L’opinion publique s’est inversée», et c’est «sidérant» selon Olivier Burruyer. En 1994 et en 2004, ce sont les Etats-Unis qui arrivent largement en tête avec 58% des Français qui attribuent aux Américains le plus de mérite.
Le blogueur est d’autant plus étonné par ce résultat que les Français de 1945 ont vu juste quand bien même l’accès à une information fiable était plus difficile à la fin de la guerre qu’en 1994 ou en 2004.
Pourquoi notre vision de l'histoire a-t-elle changé?
Comment expliquer cette inversion? Sans doute par l’effondrement du Parti communiste en France. Alors qu’il a été le premier parti de France, il ne recueille que 8,64% des suffrages à l'élection présidentielle de 1995. Les Français de 1945 étaient plus rouges qu'aujourd'hui et auraient donc eu plus de sympathie à l'égard de l'Armée Rouge.
Peut-être aussi parce que les Français confondent battre les Nazis et reconstruire la France.
Dès 1945, 69% des Français pensent que les Etats-Unis vont jouer un rôle plus important que l'URSS dans le relèvement de la France, indique l’étude. Et ce avant même que les tensions de la future Guerre froide soient connues du grand public.
Les désinformés sont les plus et les moins diplômés.Et si vous pensez que les plus intelligents (les plus diplômés) ne tombent pas dans le panneau, eh bien détrompez-vous. Quand on regarde les réponses en fonction des catégories socio-professionnelles, les cadres supérieurs et les ouvriers sont ceux qui se trompent le plus. C’est-à-dire les plus diplômés et les moins diplômés. Vous pouvez consulter le détail de l'étude ci-dessous.
19381944 : Des accords de Munich à la libération de Paris ou l’aube des sondages d’opinion en France. En 1938, Jean Stœtzel, universitaire normalien et agrégé de philosophie crée le premier institut de sondages en France : l’Ifop ou Institut Français d’Opinion Publique qui restera jusqu’en 1963, date de la création de la SOFRES, le seulinstitut d’enquêtes de l’hexagone.
La naissance de l’Ifop est clairement liée à une influence américaine: professeur détaché à l’Université Colombia de New York de1937 à 1938, Jean Stœtzel y fait la connaissance de George Gallup, à l’origine du lancement à partir de la campagne présidentielle de 1936 et de la popularité 1 des sondages aux EtatsUnis. Il est séduit par le succès de Gallup et par la méthode utilisée (un échantillon représentatif d’électeurs américains plutôt que des votes de paille tels ceux organisés pendant la campagne électorale par leLiterary Digestqui annonçait la défaite de Roosevelt.Il revient en France avec l’idée de la création de l’Ifop et le souhaitde voir ses enquêtes publiées dans la presse, à l’instar de celles de George Gallup dans leNew York Times. Aujourd’hui, il ne reste que peu de traces des enquêtes de l’Ifop réalisées dès après la création de l’institut, dans la période 19381945. Selon Hélène Riffault qui fut la fidèle collaboratrice de Jean Stœtzel, l’occupation en est la cause principale: «S’il n’existe plus d’archives sur les premières enquêtes de l’Ifop, c’est parce que Jean Stœtzel les a détruites, craignant une perquisition ». Néanmoins, au delà de ces aléas historiques, la naissance de l’Ifop est intimement liée à deux moments historiques au cours desquels les travaux de l’institut ont été révélés au grand public : la crise et les accords de Munich en septembre 1938 puis la libération de Paris en août 1944. L’OPINION APRES MUNICH La création puis les premiers pas de l’Ifop interviennent dans un contexte international particulièrement dramatique, marqué par deux crises : les tensions germanotchèques autour de la région des Sudètes, qui allaient aboutir en septembre 1938 à la conférence de Munich puis l’occupation en mars 1939 de Prague et de l’ensemble de la Bohème Moravie par les troupes allemandes. C’est autour de ces événements que le premier institut de sondage fondé en France va permettre à partir de deux enquêtes réalisées avant et immédiatement après chacune de ces deux crises de répondre à la question: qu’en pensent les Français ? A la suite de la signature des accords de Munich le 29 septembre 1938 par la France, la Grande Bretagne, l’Italie et l’Allemagne, Jean Stœtzel réalise le tout premier sondage politique: 57% des personnes interrogées déclarent approuver ces accords tandis que 37% les jugent néfastes (6% refusent de se prononcer). L’opinion publique française avalise donc Munich et l’abandon de la souveraineté de notre allié tchécoslovaque au profit des visées expansionnistes de Le chancelier. Le sondage révèle toutefois un bloc non négligeable d’opposants à ces accords de septembre et permet de relativiser le prétendu enthousiasme populaire, relayé par la majeure partie de la presse française et visible à travers l’accueil réservé par la foule au président du conseil Edouard Daladier à son retour d’Allemagne, acclamé pour avoir « sauvé la paix ».