Témoignage écrit de Mme Barrièras Anne-Charlotte, 2002:
Flughelferin en Tchécoslovaquie
Le 12 novembre 1944, j’ai reçu l’ordre de me présenter au bureau de recrutement des autorités allemandes de Mulhouse pour le service militaire. J’ai supplié ces militaires pour qu’ils me donnent un sursis de quelques mois afin de soigner ma maman malade, mes trois frères et mes deux sœurs. Ces autorités que je viens de mentionner m’ont laissé le libre choix : partir ou voir ma famille internée. J’ai choisi malgré moi de partir pour éviter beaucoup de souffrances à ma famille déjà bien éprouvée. Le 15 novembre 1944, je me suis présentée à la caserne de Oberföhring près de Munich. Après une première sélection, j’ai été envoyée à la caserne de Straubing ; de là une deuxième sélection : je devais partir pour une base aérienne en qualité de Flughelferin en Tchécoslovaquie. Nous étions logées (40 ou 50 jeunes filles) dans un camp de baraquements militaires sous surveillance de deux Militärführerinnen allemandes. Aussitôt arrivées au camp, nous avons été habillées en uniforme de l’aviation. (...) Cet uniforme m’a écœurée. Nous étions destinées à prendre la relève des hommes qui ont été envoyés sur divers fronts, là où l’armée allemande battait en retraite. Nous avons servi sous commandement militaire. (...) Ils nous donnaient des cours de pilotage, de mécanique et de réparations. Après les cours, nous travaillions sur les avions à réparer, à démonter et à remonter. Nous devions également préparer des caisses de munitions pour les chasseurs. (...) Nous touchions une solde misérable qui ne suffisait même pas à pourvoir à nos soins d’hygiène corporelle. La nourriture laissait à désirer en qualité et en quantité. A chaque alerte, nous nous réfugions dans la forêt proche. Nous avons subi plusieurs mitraillages et le 20 avril 1945 un bombardement. Pendant ce bombardement, nous avons pu nous échapper à travers la forêt jusqu’à la ville de Marienbad, mais où aller ??? Il n’y avait plus de trains qui circulaient, tout était paralysé. Nous avons été contrôlées par un Kommando de la Ostkammandatur. Après avoir expliqué notre incorporation et notre situation suite au bombardement, les Allemands nous ont placées dans des hôpitaux militaires pour soigner des blessés. Nous y sommes restées jusqu’au 06 mai 1945, date à laquelle les Américains nous ont libérées. (...)
Témoignage écrit de Sœur Madeleine Richert (Sœur de Ribeauvillé) datant du 25/02/2003
La formation et le service armé d’une Flakhelferin
En octobre 1944, les six mois de RAD prennent fin. C’est l’incertitude pour la suite. Début octobre on nous annonce notre départ de Schwerzen pour un camp de formation à la Flak comme serveur des renseignements techniques en relation avec une batterie de canons anti-aériens. Tous ces renseignements ne nous sont pas communiqués avant notre arrivée sur place. (...) Nous prenons le train jusqu’à Constance d’où nous serons acheminées à Friedrichshafen en bateau où nous arrivons à la nuit noire. (...) Le lendemain, découverte de l’environnement : un terrain en pleins champs parsemé d’une vingtaine de baraques reliées entre elles par des chemins boueux, défoncés. En face de nous, une gare : Eriskirch. Ce camp abritait soixante-dix filles et l’équipe de formateurs : des soldats de la Luftwaffe. Un staff d’officiers et sous-officiers, une quinzaine d’hommes. Nous sommes réparties en groupes suivant les appareils à servir, après un test de capacité. Je suis affectée au groupe du Horchgerät. Nous recevons une formation théorique. L’entraînement se fait sur simulateurs et sur les appareils réels : casque d’écoute sur la tête et ronronnement des avions dans les oreilles deux heures le matin et deux heures l’après-midi. Il y a aussi les exercices militaires tous les matins : entraînement à la marche, à la course, etc. Les journées sont rudes, exténuantes, les repas insuffisants et mal préparés. L’automne est pourri, il pleut beaucoup et c’est une région de brouillard. Nous souffrons du froid et de l’humidité et de la faim. (...) La nuit, à tour de rôle, nous devions assurer les patrouilles aux alentours des baraques, ceci durant deux heures. Nous étions armées d’un pistolet chargé à blanc. Il fallait s’en servir si une personne interpellée ne répondait pas, ce qui m’est arrivé une fois. C’était impressionnant et nous étions très inquiètes. (...) Après six semaines d’entraînement, le 6 décembre 1944, nous sommes transférées à Affing, le siège de l’administration où nous sommes affectées.(...) Le 3 janvier 1945, je suis envoyée avec trois camarades pour un stage théorique et pratique de six semaines pour obtenir un certificat d’aptitude au service des engins d’écoute. (...) Début avril, les autorités nous ont initiées au maniement des grenades à main. (....) Le survol des avions bombardiers se multiplie de jour et de nuit. Nous devons nous tenir à nos postes d’observation pour donner les renseignements à la centrale : renseignements sur la position des avions et leur direction suivant un code calqué sur le cadran d’une montre. Au moment des bombardements, [nous devions noter] tout ce qu’on observait comme bruits (...) Une bavure de nos transmissions était immédiatement sanctionnée.
Extrait du témoignage de Marguerite Clausen, in Nina Barbier, Malgré-Elles. Les Alsaciennes et Mosellanes incorporées de force dans la machine de guerre nazie, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2008, p. 53-54
L'enfer
Le 6 novembre 1944, le facteur m’amène une feuille de route pour la DCA. Je me rends à 19 heures à la gare centrale de Colmar où je trouve d’autres filles. Nous dormions à Fribourg et le 09/11/1944 à 5 heures nous prenons la route de Zirndorf via Ulm qui se trouvait près d’Erfurt. Une fois arrivées au terrain d’aviation, nous recevons le paquetage militaire : rangers à lacets, masque à gaz, casquette, casque, ceinturon, un revolver 765 mm avec un chargeur automatique de huit balles. Le groupe est ensuite transféré à Tegernheim, à dix kilomètres de Regensburg. Il s’agit réellement d’un camp d’instruction militaire. On doit suivre une instruction sur les projecteurs, puis sur le maniement du revolver, le tir et le soir, nous entonnons des chants militaires – le cauchemar !
Pendant six semaines, de novembre jusqu’au 19/12/1944, nous faisons nos classes, puis je suis transférée à Nuremberg en compagnie d’une dizaine de filles. Toutes les deux heures, de jour comme de nuit, nous prenons nos tours de garde, revolver à la ceinture. En cas de bruit, nous devons crier Halt Wer ist da ? et si personne ne répond, nous sommes autorisées à tirer. Le 2 janvier, à la Luidpold Arena, le téléphone sonne à 18 h 30 le soir pour avertir qu’une alarme aérienne a été déclenchée. Nous abandonnons tout pour rejoindre immédiatement les projecteurs. Nous les filles, sommes bien en vue, en plein milieu d’un terrain, tandis que les hommes sont aux canons, cachés dans la forêt. Le projecteur est dans un trou, il y a des marches à descendre, des sacs de table sont disposés tout autour. Nous recevons une pluie de ce qu’on appelle les boules de Noël, des boules rondes éclairant partout. Nous entendons siffler les bombes tout autour de nous et notre projecteur éclate sous le souffle des bombes. Les filles se cachent le visage dans les sacs de table, je me demande encore comment j’ai pu sortir de cet enfer.
Les femmes incorporées étaient sous contrôle militaire et avaient, comme chaque soldat, une plaque d’identité (portée obligatoirement autour du cou), un grade (elles n’étaient plus interpellées par Fraulein X mais par exemple par Marinehelferin X), un Soldbuch (ou livret individuel), une Feldpostnummer (c’est-à-dire un numéro de secteur postal) et un Wehrsold (une paye) touché tous les dix jours.
La plus grande partie des femmes incorporées dans la Wehrmacht a été affectée dans la Luftwaffe.
Pendant toute la durée de la guerre, ce sont plus de quatre mille Alsaciennes qui ont été incorporées en tant que Flakhelferin.
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L'histoire ne consiste pas à cultiver le souvenir d'un passé lourd de ressentiments ou d'identités qui séparent irrémédiablement, elle est un effort pour comprendre ce qui s'est passé et pourquoi ça s'est passé.
Impossible n'est pas Lufteaux!
La vie est une longue période d'attente entre deux reconstit'(Ben)
Il ne faut pas confondre loisir et détente (Gildas)