…....De notre côté, nous n'avons plus, en Italie, que cent cinquante chasseurs à leur opposer......Dix contre un, c'est la vieille rengaine ; dix américains donnent la chasse à un allemand.
Un jour arriva à Lavarriano un message : « Formation ennemie au-dessus des Apennins. Cap sur le nord. Objectif probable en Allemagne du Sud. »
Branle-bas de combat !
Les Messerschmitt vrombirent ; vingt-cinq se rassemblèrent au-dessus du terrain. Nous ignorions l'importance de la formation attaquante. Un deuxième groupe de chasse, basé sur un aérodrome à l'ouest d'Udine, vint se joindre à nous. Cinquante chasseurs allemands tenaient l'air : le ciel retentissaient des échappements de leurs moteurs, et exceptionnellement, nous nous sentions forts.
Le « vieux », dans la radio proclamait :
Aujourd'hui, nous sommes invincibles.
Nous filions à 6000 mètres, vers le sud-ouest, en direction de Trévise-Padoue. Nous étions sur des chardons ardents ; cinquante paires d'yeux fouillaient l'horizon à la recherche de l'ennemi. Soudain un cri :
En dessous, sur la gauche, un paquet.............cinquante Liberator !
Une autre voix lançait, sur un ton joyeux :
Cette fois, sans couverture de chasse :
Un troisième exprimait son scepticisme :
Pas possible !
Sous nos plans, les Liberator avançaient, fonçant sur leur objectif, cap au nord, museau en avant. La voix du « vieux » dans la radio :
Du sport en perspective ! Pour une fois, les chances sont à égalité : cinquante, cinquante. En avant les enfants !
Je pensais : « Ils doivent expérimenter une nouvelle tactique ou ils ont une idée derrière la tête. Pourquoi, contrairement à leur habitude, sont-ils aussi peu nombreux ? Nous sommes à égalité de force, eux et nous. C'est exceptionnel ! »
A l'attaque !
Les escadrilles piquèrent. A deux mille mètres, les Messerschmitt débouchèrent ensemble au-dessus des quadrimoteurs, lâchant leurs salves en se redressant. Nous tirions comme des fous, le doigt crispé sur la détente, sans cesse nous revenions à l'assaut, accrochés aux bombardiers comme des sangsues. Nous visions de sang-froid, sans pitié, crachant le feu de tous nos tubes. Les premiers Liberator accusèrent le coup : panaches de fumée noire, tôles tourbillonnant en l'air, éclatements, explosions, langues rouges léchant les fuselages. Finalement, ils explosèrent. Un Messerschmitt s'abattit en vrille. Nous n'y prêta attention. Les chasseurs restaient groupés comme pour la parade, attaquant sans cesse, aile dans aile fonçant aveuglément. Ils se cabraient, tombaient, se rattrapaient, se collaient dans la queue des quadrimoteurs, réglaient leur compte aux mitrailleurs. Le doigt sur la détente, nous suivions des yeux les balles traçantes qui semaient la mort parmi la formation des bombardiers. Un Liberator brûle mieux qu'une forteresse : sur trois projectiles qui quittaient nos canons, le troisième était un obus au phosphore, donc un incendiaire. De nos mitrailleuses s'échappaient des traînées blanches et les salves faisaient mouche dans le groupement ennemi. Dans la radio, le « vieux » nous poussait à l'action :
Allez-y...encore …..Remettez ça ! Il ne faut pas qu'un seul bombardier rejoigne son terrain !
A ce moment, se produisit l’invraisemblable : les Liberator rompirent soudain la formation et s'éparpillèrent. Jamais encore le fait ne s'était produit : les quadrimoteurs fuyaient soit par petits groupes, soit isolément ; ils tentaient de se soustraire aux rafales. L'hallali commença ! Les chasseurs s'égaillèrent, chacun choississant son objectif, collant à leurs adversaires ne leur laissant pas une seconde de répit. Rares étaient les bombardiers dont les tôles n'étaient pas déchiquetées. Les américains descendirent, s'efforçant de gagner un banc de nuage qui s'étendait au sud-est, au-dessus de la plaine du Pô. Les Messerschmitt s'acharnaient, caracolant autour d'eux, perpétuellement aux aguets, se ruant à la curée, sans trêve ni repos. Dans la radio, les intersections se croisaient : »Bon dieu ! Je suis à court de munitions ! Un royaume pour une bande de mitrailleuse. Y a-t-il des amateurs ? Des parachutes se balançaient, telles de grosses cloches blanches. Ennemi, ami ? Personne ne la savait......
Nous poursuivions les bombardiers en rase-mottes, nous les chassions par paires, sans même qu'ils ripostent. Dans les tourelles, les mitrailleurs américains avaient sans doute été fauchés, à moins qu'ils n'eussent pris les devants en sautant en parachute........
En descendant de mon avion, je vis mon mécano qui se dirigeait vers moi :
Mon lieutenant, avez-vous vu votre « jaune 2 » ? Une véritable passoire : bouts d'ailes transpercés, des trous partout, d'un bout à l'autre du fuselage.......
La dernière rafale
Peter Henn